Une année après le
déclenchement des « révoltes
arabes », quel bilan peut-on éventuellement dresser ? Quel
serait l’implication des Etats-Unis dans ces troubles ? Quels enjeux
dictent ces conflits dans le monde arabe et le continent africain ? Quelle
place occupent ces « révoltes »dans l’échiquier de la politique du
« chaos constructeur » ? Un tas d’autres questions qui taraudent
encore les esprits et auxquelles Carolle A. Dessureault apporte un nouvel
éclairage dans cet entretien accordé exclusivement à La Nouvelle République.
Pour rappel,
avec la publication de cinq ouvrages, et près de deux cent conférences sur le
développement de la personne, une médaille d’argent Art Oratoire Toast Masters
International, Carolle A. Dessureault, cette écrivaine canadienne, a occupé
plusieurs postes, dont celle de Vice-présidente, Communications et Marketing
(au Technoparc de Montréal), rédactrice et éditrice du Techno-News, et
actuellement, rédactrice au site web LES 7 DU QUÉBEC.
La NR/ «Révoltes arabes», un an après; quel
bilan peut-on dresser?
Après une année, il est évident que
l’Histoire a raison sur un point : il n’y a pas de transition facile pour
passer d’une dictature à la démocratie.
Au début de 2011, ici au Québec, beaucoup
de gens ont été touchés par les révoltes initiées par la Tunisie, bientôt
suivies de celles de l’Egypte. Le courage des manifestants, leur détermination,
leur appel à la liberté ont soufflé un vent d’espoir pour un possible changement
de régime dans leurs pays. La passion et le courage des manifestants – des
jeunes hommes et des jeunes femmes, mais aussi un grand nombre de personnes
plus mûres et même âgées – ont inspiré aux Occidentaux un sentiment
d’appartenance universelle. Les répressions très sévères envers les
manifestants, la violence envers les journalistes nationaux et internationaux
interdisant la diffusion de l’information, n’ont pas réussi à arrêter les manifestants
qui, grâce à la technologie de nouveaux médias, tels Facebook, Twitter, ont pu
circuler de l’information, et organiser
des rassemblements. Même si le gouvernement a renforcé sa censure sur Internet,
coupé des fils de réseaux, et bien d’autres gestes du même acabit, une marche,
un nouveau pas venait de naître le 28 janvier 2011, jour de l’insurrection au
Caire, où la foule en colère prit le contrôle de la capitale.
Ce qu’il est important de comprendre, c’est
que ces événements ont engendré chez beaucoup d’Occidentaux – pendant un
certain temps, peut-être trop court il est vrai – une fraternité envers la
cause des révoltes arabes. Une amie française lors d’un passage à Montréal m’exprimait elle aussi l’espoir que ces
événements faisaient naître en elle. Une goutte d’eau dans l’océan, mais une
goutte d’eau à sa véritable place. Je crois qu’il est aussi dans la nature des
hommes de vibrer à la solidarité humaine.
Puis, d’autres pays firent la chasse à
leurs dictateurs. Des soulèvements eurent lieu un peu partout, comme des feux
de forêt qui se propagent poussés par le vent de l’espoir. En Lybie au Maroc,
au Yemen, en Syrie, en Arabie Saoudite, en Iran, en Irak, au Liban, en Jordanie,
etc. Tous ces dictateurs et leurs collaborateurs sont corrompus jusqu’à l’os!
Ils mériteraient qu’on les jette dans une rivière infestée d’alligators.
À la fin de l’année des révoltes arabes, trois
pays ont renversé le régime en place, soit LA TUNISIE, L’EGYPTE, LA LYBIE. Par
contre, au YEMEN, en SYRIE, au LIBAN et en JORDANIE les soulèvements populaires
ont été violemment réprimés. Quelques
pays furent touchés par un faible mouvement de contestation, entre autres, l’ALGÉRIE
(qui est plutôt restée en marge du printemps arabe), le MAROC, l’ARABIE
SAOUDITE, L’IRAN et l’IRAK.
LES CHANGEMENTS INSTAURÉS?
EN ÉGYPTE, le Conseil suprême des forces
armées assure l’intérim depuis la démission du président Moubarak. Une élection
présidentielle est prévue en juin 2012, précédée d’élections législatives.
Présentement, les Frères musulmans sont les favoris suite à leur victoire aux
élections parlementaires de l’automne dernier.
De l’avis d’Amr Zoheiri, la victoire des
Frères aux élections parlementaires ne va pas faire plonger le pays dans l’obscurantisme
du jour au lendemain (EST-CE À DIRE QU’ILS VERSERONT DANS L’OBSCURANTISME,
ÉVENTUELLEMENT? Seul le temps le dira). Ils vont d’abord appliquer leurs idées
de manière très souple par des alliances. Toujours selon lui, le système le
plus favorable pour les Egyptiens est le système parlementaire (en vigueur de
1919 à 1952), avec une démocratie qui fonctionnait grâce à une forte présence
de différents partis.
En TUNISIE, les islamistes d’Ennahda ont
remporté en octobre dernier 89 des 217 sièges de l’Assemblée constituante
tunisienne, suivis du parti de gauche pour 29 élus et de la «Pétition
populaire», 26 sièges. C’était une première expérience démocratique en Tunisie
et certaines lacunes sont apparues dans le processus en raison de la complexité
du bulletin de vote, surtout pour les votants illettrés. Cette Assemblée
constituante a la mission de rédiger une nouvelle Constitution pour le pays, et
légiférer jusqu’à la tenue d’élections générales.
EN LYBIE, «les prochaines élections en
Lybie sont, déclare Mme Clinton, une première étape cruciale vers une pleine
démocratie». Ces élections de l’assemblée constituante se dérouleront en juin
prochain. Le colonel Kadhafi se cache toujours.
EN IRAN, des milliers de personnes ont participé
à des défilés dans tout le pays pour protester contre le déroulement des
élections législatives du 2 mars 2012 et l’élection de Mahmoud Ahmadinejad. Ce
dernier a été élu à 85 %. Y a-t-il eu
fraude? Les experts ne s’entendent pas là-dessus. Difficile d’être
objectif et de vraiment savoir ce qui s’est passé. Le président Ahmadinejad
promet de grands changements! Et il a juré d’être le gardien de la religion
«officielle», une victoire pour les Mollah.
EN SYRIE, Bachar el-Assad annonçait il
y a quelques semaines la tenue
d’élections législatives le 7 mai prochain, faisant fi de la réponse à donner
aux «propositions concrètes» formulées par Kofi Annan, l’émissaire de l’ONU.»
Depuis le début de la révolte populaire, la communauté internationale fait
pression sur le régime de Bachar el-Assad.
On qualifie de factice le référendum tenu à
la fin février par Bachar el-Assad. La Maison-Blanche a jugé ridicule récemment
l’idée d’organiser un scrutin législatif «au milieu des violences.» La Russie
et la Chine font des pas vers la communauté internationale. Moscou a fait
entendre qu’elle souhaitait convaincre Damas d’accepter des observateurs
internationaux indépendants CHARGÉS DE SURVEILLER L’ARRÊT SIMULTANÉ DES
VIOLENCES DES DEUX CÔTÉS. Comme on peut le constater, tout n’est pas réglé ….
Et que penser d’un personnage comme Bachar el-Assad qui organise des
référendums factices, pour la galerie?
À la fin de ce printemps arabe, tout est
loin d’être réglé. Ce qui ne se fera pas en un jour. Comment d’ailleurs parler
de rectification d’une situation quand nous-mêmes en Occident n’avons pas réglé
nos conflits profonds de pauvreté et d’injustice. Mais il est vrai que nous
survivons.
La
NR/ Hubert Védrine a annoncé de façon lapidaire : «Le Printemps Arabe est
un mouvement courageux, nous en approuvons l’orientation, l’on espère que tout
va bien se passer et l’on aimerait bien pouvoir l’y assister. » Comment
comprendre cette assistance?
M. Védrine n’envisageait-il pas une
intervention de la Russie pour une solution sur le plan syrien?
Qui dit «aide» dit aussi «s’assurer d’une
alliance». Pouvoir assister sans tomber
dans le piège d’une nouvelle forme de colonialisme, ni de vol des ressources de
pays. Quant à la corruption, pourquoi en parler? On dit qu’elle est partout.
Une assistance bénéfique à long terme
serait de tenter de modifier la perception qu’on a des arabes en Occident. Comment,
je ne le sais pas. Nous vivons une époque de choc des cultures. L’assistance
devrait surtout être dans ce sens.
D’une façon générale, M. Védrine parle de
procéder cas-par-cas puisqu’il y a beaucoup de différences dans les
révolutions. Ce qui est certain, les révolutions arabes vont toucher peu à peu
tous les régimes totalitaires. Le feu ne peut pas revenir en arrière.
La NR/
Quelle lecture pourrait-on faire du rôle et le jeu des États-Unis dans les
«révolutions arabes»?
Je crois que les Etats-Unis et
d’autres pays font déjà trop d’ingérence. La démocratie ne s’impose pas par la
force, je fais référence à l’intervention de Bush en Irak il y a plusieurs
années, en dépit de l’opinion publique contraire à sa volonté. Se
comportent-ils différemment maintenant?
LA
NR/ Comment comprendre les conflits et les enjeux géopolitiques du continent
africain et du Moyen-Orient actuellement?
Une situation inextricablement complexe que
je ne saurais commenter clairement. Un point seulement : les innombrables
minorités religieuses qui s’entrechoquent et s’affaiblissement réciproquement;
la diversité énorme des langues; la couleur de la peau. Des facteurs qui ne
facilitent pas les conflits présents.
LA
NR/ Compte tenu de ce qui se passe actuellement dans le monde arabe,
n’assiste-t-on pas au plan de remodelage du Proche et Moyen Orient par une
politique «chaos constructeur»?
Ce que je comprends de la politique du
«chaos constructeur» me laisse pantoise.
Selon la théorie du «chaos constructeur»,
issue du philosophe Leo Strauss, sous la dénomination de «néo-conservateur», le
vrai pouvoir ne s’exerce pas dans l’immobilisme, mais au contraire par la
destruction de toute forme de résistance. C’est en plongeant les masses dans le
chaos que les élites peuvent aspirer à la stabilité de leur position.
L’offensive de Tsahal contre le Liban en
2006 était supervisée depuis le département de la Défense des Etats-Unis.
Deux choses me frappent.
La première : ceux qui veulent
appliquer le remodelage, politique du «chaos constructeur», ne sont pas ceux
qui en souffriront.
La deuxième : est-ce un hasard que ce
remodelage ait pour cible des zones riches soit en hydrocarbures (tel qu’au
Liban), ou dans des zones riches en réserves de pétrole et de réserves de gaz?
Le Proche et le Moyen Orient devraient se
montrer prudents dans cette approche, et à tout le moins, comprendre l’enjeu
profond qu’il en résulterait.
LA NR/
Pensez-vous personnellement que le plan israélien «Une stratégie pour Israël
dans la décennie 1980», qui vise à balkaniser les pays arabes, puisse réussir,
alors que l’on constate quand même une reprise de conscience des masses arabes?
À l’origine, le plan Yinon – prolongement
du stratagème britannique au Moyen-Orient – était un plan stratégique israélien
qui visait à assurer la supériorité d’Israël dans la région et proposait la
reconfiguration de son environnement géopolitique par la balkanisation des
États arabes. Personnellement, je considère cette forme de stratégie proche de
la perversion. Rappelons le cas de l’Irak qui avait été caractérisé comme la
pièce maîtresse de la balkanisation du Moyen-Orient et du monde arabe. Sur
cette base, la division de l’Irak s’est faite en un État kurde et deux États
arabes. L’un shiite et l’autre sunnite. Puis ce fut la guerre entre l’Irak et
l’Iran – prévue par le plan.
La balkanisation est un processus par
lequel un grand État éclate en plusieurs pays de taille trop réduite pour être
viables économiquement ou pour pouvoir peser sur les affaires du monde. Le
monde arabe souffre déjà de sa balkanisation.
C’est la politique de DIVISER POUR RÉGNER.
L’Histoire se répète. Les mêmes causes
produisent toujours les mêmes effets. Si on s’y prend de la même manière pour
pallier une situation qui a déjà avorté dans le passé, les mêmes effets vont se
répéter. C’est une loi de simple bon sens.
Ceci, les experts le savent, mais ne le
diront pas. Puis-je ajouter que nous vivons dans un monde de personnalités
manipulatrices?
L’union fait la force. L’union génère plus
d’avantages que de conflits.
La NR/ D’après
vous, quels sont les pays menacés par ce déploiement militaire dans le monde
arabe, considéré comme stratégique par Washington?
Tous les pays. La Syrie, le Liban. Ce sont
des petits feux allumés un peu partout.
LA
NR/ Certains pensent que la ligue arabe a été réduite au rôle de pantin
instrumentalisé au profit d’un néo-colonialisme au Moyen-Orient. Qu’en
pensez-vous?
C’est fort possible. J’ai peu confiance
dans les dirigeants politiques, ce sont des êtres humains, susceptibles de se
tromper, même dans des situations aussi cruciales que celles dont nous
discutons aujourd’hui.
Vraiment, je ne peux vous répondre.
LA
NR/ Koffi Anan est actuellement en train de déployer tous ses efforts pour
trouver une solution à la crise syrienne. L’Occident mène un double-jeu, d’une
part il feint de chercher des solutions, et d’autre part, il soutient et
renforce des mercenaires armés afin de mettre fin au régime d’Assad. D’après
vous, y a-t-il une sortie de crise diplomatique à ce conflit? Si oui, sous
quelles conditions?
SI M. Koffi Anan n’y parvient pas,
franchement, on se demande à quoi servent la diplomatie et la politique.
Un double-jeu est une tactique
d’intimidation, de déstabilisation, et d’abus de pouvoir. Ce qui ne signifie pas
qu’il faut agir comme eux.
ENTRETIEN REALISE PAR CHERIF ABDEDAIM, La
Nouvelle République du 5 avril 2012
cherif.dailybarid.com
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